Électricité: oui, il faut ouvrir la production au privé!
Pierre-Olivier Pineau|Publié le 12 Décembre 2023«Pourquoi ne pas simplement laisser les demandeurs d’électricité se procurer eux-mêmes leur électricité? C’est ce que nous faisons avec d’autres biens essentiels: logement, nourriture ou vêtements.» (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. L’approvisionnement en électricité semble être un enjeu important ces temps-ci. Alors qu’on se questionne à peine sur les 212 TWh consommés au Québec en 2022 — soit plus de 25 000 kWh par personne — certains déplorent les annonces d’autoproduction de TES Canada. Boukar Diouf reprochant simultanément que le gouvernement intervienne pour attribuer les blocs d’énergie et que des consommateurs veuillent produire.
Mais si, justement, c’était pour échapper à l’arbitraire des décisions gouvernementales qu’ils voulaient produire eux-mêmes?
Tentons de reprendre les arguments qui ont mené à la nationalisation d’Hydro-Québec, et de comprendre pourquoi, en 2023, il pourrait être temps d’accepter de laisser le secteur évoluer différemment.
Changer n’est pas automatiquement une trahison contre la nation québécoise.
Ça pourrait au contraire être une manière de mieux développer le secteur.
La nationalisation du secteur de l’électricité
Lorsqu’Hydro-Québec a été créée en 1944, elle n’a pas encore le monopole de la production de l’électricité au Québec. Ce n’est qu’une compagnie, qui reprend les actifs de la Montreal Light, Heat and Power, à Montréal.
Ce n’est qu’en 1963 que le gouvernement force la nationalisation des entreprises privées de production et distribution d’électricité et qu’Hydro-Québec devient la compagnie d’électricité partout au Québec… sauf dans les municipalités desservies par leur propre réseau municipal ou coopératif.
Les raisons de la création et de la nationalisation d’Hydro-Québec étaient très claires: des abus existaient de la part des producteurs et distributeurs privés d’électricité, le Québec avait besoin de se moderniser en rendant l’électricité disponible partout sur son territoire, et d’immenses projets hydro-électriques devaient être développés.
Les impératifs de justice, d’accès universel et de développement de ces mégaprojets (Manic et Baie-James, notamment) justifiaient pleinement un leadership étatique.
En 2023, si la justice, l’accès universel et les grands projets sont toujours importants, de grands progrès ont été réalisés.
Plus personne ne paie son électricité trop chère parce qu’une compagnie abuse de son pouvoir. Tout le monde a accès à de l’électricité au Québec, et les projets dont on discute ne sont pas de la même ampleur que ceux du passé.
Nous sommes même arrivés, avec nos plus de 25 000 kWh d’électricité, parmi les champions internationaux de la consommation d’électrons.
Les bas prix d’Hydro-Québec et son électricité propre attirent le regard de tous… Ce qui amène une longue liste de projets potentiels ici au Québec.
Est-ce à Hydro-Québec de fournir l’électricité à tous ces projets?
Ce n’est pas possible, il y en a trop. Est-ce au gouvernement de choisir qui aura droit à de l’électricité? Si on est d’accord avec cette prémisse, on est sur un terrain très glissant.
Selon quels critères?
Pour combien de temps?
À quel prix?
La même logique que dans d’autres secteurs
Pourquoi ne pas simplement laisser les demandeurs d’électricité se procurer eux-mêmes leur électricité? C’est ce que nous faisons avec d’autres biens essentiels: logement, nourriture ou vêtements.
Les entreprises quant à elles sont aussi responsables de leurs approvisionnements en matières premières — pourquoi l’électricité serait-elle une exception?
Le rôle du gouvernement est de donner des orientations à la province, pas de choisir les entreprises gagnantes et perdantes.
Les nouvelles technologies de production d’électricité, éolienne et solaire notamment, ne sont pas des mégaprojets hydroélectriques demandant une mise en œuvre centralisée.
Par ailleurs, en ouvrant la production à tous ceux qui veulent en faire, cela n’implique pas qu’Hydro-Québec soit être privatisée ou qu’elle perde son rôle.
Au contraire, cela va encore mieux l’établir comme producteur hydro-électrique (pouvant offrir des services d’équilibrage), comme transporteur en sol québécois et comme distributeur.
Elle a d’ailleurs fort à faire dans ces trois domaines – et lui demander davantage encore pourrait bien faire déraper cette immense machine qui n’est pas reconnue pour son agilité.
Et c’est bien normal: on ne peut pas à la fois être un géant solide comme le roc et un acteur vif qui s’adapte rapidement.
Privatiser les richesses québécoises?
Pour ceux qui s’inquiètent de l’exploitation par des entreprises privées de richesses naturelles (vent, soleil, paysages), rassurez-vous.
Ces richesses peuvent tout autant bénéficier à la province: il faut en effet établir des redevances de production (comme on a déjà une redevance hydraulique sur la production d’hydroélectricité) et taxer les profits des entreprises.
Cette fiscalité est nécessaire pour financer les activités de l’État.
L’enjeu n’est pas de créer un nouveau monopole sur la production d’électricité, mais de s’assurer que le Québec se développe justement.
L’arbitraire gouvernemental a moins sa place dans ce développement qu’un État fort.
Il doit protéger le patrimoine collectif et les citoyens, en priorité les plus démunis.
Notre vigilance doit s’exercer à ce niveau, bien plus que sur la nature du propriétaire des nouvelles éoliennes qui apparaitront dans le paysage québécois.