«Soutenir et accompagner de façon solidaire les travailleurs et entreprises fauchés par les changements globaux —telles que ceux de la filière de la crevette nordique— est bon non seulement pour nos consciences, mais aussi pour le développement du Québec. C’est un impératif pour garantir notre prospérité à toutes et tous.» (Photo: 123RF)
EXPERTE INVITÉE. Le déclin des stocks de crevettes nordiques vous semble bien loin de vos préoccupations quotidiennes? Minute papillon! Ce qui se joue sous nos yeux en ce moment n’est pas qu’une histoire de pêcheurs et de crustacés. C’est du destin de notre économie et de notre société face aux changements globaux dont il est question.
Une triste avant-garde
Le majestueux fleuve Saint-Laurent est au cœur de nos paysages et de notre identité québécoise. Il est tout à la fois notre quotidien et notre imaginaire. Mais il est aussi une des plus tristes figures de la fragilité des environnements naturels par rapport aux changements globaux.
Il apparaît notamment dans le dernier rapport spécial sur les océans du Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) que l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent font partie des zones maritimes ayant le plus fort potentiel de hausse des températures et d’acidification au monde d’ici à 2100. Tout ça ne sent vraiment pas bon. Ces changements sont d’ores et déjà à l’œuvre, mettant certaines de nos entreprises et certains travailleurs de l’économie bleue dos au mur.
Vous l’aurez compris, les pêcheurs et transformateurs de crevettes nordiques font partie de cette triste avant-garde des acteurs économiques confrontés de plein fouet aux effets des changements globaux. Alors que les stocks de crevettes fondent comme neige au soleil sous l’effet des changements climatiques, ce sont des centaines de femmes et d’hommes qui se retrouvent vulnérabilisés dans leur activité économique et des communautés entières qui sont touchées.
Cette réalité, ce pourrait bien être celle d’une multitude de filières économiques majeures au Québec au cours de la prochaine décennie. Le secteur bioalimentaire au complet (482 000 emplois) ou encore la foresterie (56 764 emplois) voire les énergies renouvelables sont par exemple très largement sensibles aux changements globaux, qu’il s’agisse de la hausse des températures ou de l’accroissement des phénomènes météorologiques extrêmes.
Tristement en avance sur leur temps, car subissant déjà de façon accrue les effets d’un monde qui change, les travailleuses et travailleurs de la crevette nordique nous offrent une chance. Cette chance, c’est celle d’apprendre dès maintenant à mettre en œuvre des politiques et des choix de société solidaires afin d’entrer véritablement dans l’économie du 21e siècle: une économie adaptée à un monde en changement et qui ne laisse personne de côté.
Pas d’adaptation sans solidarité
En matière d’adaptation aux changements globaux, ne doit-il pas comme en tout y avoir des gagnants et des perdants? Les pêcheurs et transformateurs de crevettes nordiques ne seraient-ils pas les incontournables victimes collatérales de la marche (accélérée) du monde vers un nouvel enfer climatique ?
Il y a quelques semaines, Oxfam soulignait dans son dernier rapport le lien accru entre inégalités et changements climatiques. Tandis qu’à l’échelle globale les « 1% les plus riches émettent plus de CO2 que les 66% les plus pauvres de la planète (5 milliards de personnes) […], les personnes à faible revenu vivent souvent dans des zones plus exposées aux inondations, aux fortes pluies, au stress thermique et aux tempêtes ». Plus encore, les épidémiologistes ont démontré de longue date que les inégalités dans une société sont mauvaises pour tous, tant du point de vue sanitaire, social qu’économique.
Ainsi, soutenir et accompagner de façon solidaire les travailleurs et entreprises fauchés par les changements globaux —telles que ceux de la filière de la crevette nordique — est bon non seulement pour nos consciences, mais aussi pour le développement du Québec. C’est un impératif pour garantir notre prospérité à toutes et tous.
Développer des solutions et des avantages ensemble
Les changements globaux sont un véritable rouleau compresseur, une machine infernale que nous avons démarrée et ne savons malheureusement pas stopper ni même ralentir. Toutefois certaines postures et pratiques peuvent nous aider à ne pas finir collectivement aplatis tels des ratons laveurs sur le bord de l’autoroute 20.
La première d’entre elles, c’est de jouer collectif. S’adapter, c’est faire face à de nouveaux défis et réussir à continuer à fonctionner en développant de nouvelles solutions. En d’autres mots, s’adapter, c’est innover. Une des clefs afin d’augmenter notre capacité d’innovation est la collaboration entre les différentes parties prenantes.
La pêche (tout comme la foresterie, l’énergie ou l’agriculture) est une question de ressources naturelles, mais c’est aussi une question d’humains, de familles, d’entreprises et de communautés. Dès lors, la recherche de solution doit passer par la collaboration des acteurs de la gestion des ressources naturelles, des finances, de la formation, de l’accompagnement en emploi, du développement régional et du soutien psychosocial pour n’en citer que quelques-uns.
S’adapter, tout comme innover, c’est aussi être créatif et savoir utiliser nos expériences pour développer de nouvelles solutions à de nouveaux problèmes. À ce chapitre, il est ainsi fondamental d’écouter les premiers concernés —ici les pêcheurs et les transformateurs— dont le savoir et l’expérience font germer une foule de solutions d’adaptation. Soutenir les filières et leurs acteurs sans les déposséder de toute autonomie est à la fois une posture clef et un défi majeur.
Enfin, il nous faut investir dans le développement de solutions commercialisables. Être confrontés plus fort et plus vite que d’autres aux changements globaux, c’est aussi avoir la possibilité d’inventer plus rapidement des solutions à ces défis qui vont toucher la planète entière. Investir dans nos centres de recherche et nos start-ups qui œuvrent à développer des technologies d’adaptation, c’est s’assurer que la confiture des avantages comparatifs suive la potion de la mise en danger de nos filières économiques.
Soyons solidaires, collaboratifs, créatifs et ambitieux pour relever les véritables défis de l’économie du 21e siècle: ceux de l’adaptation et de l’inclusivité.