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Sandrine Milante, la créative engagée V2

Camille Robillard|Édition de la mi‑juillet 2023

Sandrine Milante, la créative engagée V2

(Photo: courtoisie)

LE TÊTE-À-TÊTE. En 2009, Sandrine Milante, présidente et cheffe de la direction d’EcoloPharm, a «passé le bulldozer» dans l’entreprise familiale. «Transformer du plastique, pour moi, au début des années 2000, ça avait déjà très peu de sens», soutient-elle. Aujourd’hui, son entreprise dessert 4500 des 12 000 pharmacies canadiennes avec ses fioles et ses piluliers écoconçus. Celle qui a bousculé l’industrie pharmaceutique avec son désir de faire les choses différemment milite pour que la communauté d’affaires ne gaspille pas l’outil de changement social et environnemental qu’elle tient entre ses mains. Entrevue avec une entrepreneuse qui carbure aux défis.

Qu’est-ce que l’écoconception?

L’écoconception, à la base, c’est même un peu limitant dans sa définition, ce serait d’abord de réfléchir à avoir le bon matériel. C’est se demander «est-ce que ce matériel est facilement recyclable dans nos infrastructures actuelles?» et «est-ce que ce matériel est facilement accessible en approvisionnement local?»

Nous, on a poussé [la réflexion] un peu plus loin en nous demandant quel matériel pouvait être transformé à de plus basses températures pour sauver de l’énergie. Quand tu es dans un contexte de moulage industriel, 20 °F (6 °C), ça fait une grosse différence sur la consommation électrique et énergétique. Ensuite, il y a la conception de tes pièces. Comment est-ce que tu peux faire en sorte que ta pièce utilise moins de matière? Nous avons réduit de 35% l’utilisation des matières plastiques juste en repensant le design. En créant des produits en une seule pièce au lieu d’avoir plusieurs morceaux, on facilite la recyclabilité et on crée généralement des économies de poids puisque les pièces attachées ensemble sont toujours plus légères que lorsqu’elles sont séparées, ce qui permet de sauver encore une fois de l’énergie, de la consommation électrique, de l’eau, etc.

Dans l’écoconception, il faut aussi s’assurer que les gens vont avoir une utilisation [de tes produits] agréable et ergonomique. Si tu es capable de développer un produit qui soit par exemple multifonction — qui va remplacer plusieurs produits, comme c’est le cas avec les nôtres qui, généralement, vont substituer trois ou quatre pièces, on vient réduire le stock des pharmaciens et leur flot de travail. C’est de l’économie d’énergie et en espace. Tout ça, ça a des répercussions positives sur l’environnement.

EntrepriseEcoloPharm
Industrie Emballage pour le secteur pharmaceutique pharmaceutique
Siège social Chambly
Date de fondation2009
Nombre d’employés34

Le dernier élément [dans l’écoconception], évidemment, c’est de s’assurer de la recyclabilité de nos matériaux pour ne pas être dépendant de la qualité du travail des centres de tri.

En plus d’avoir un poids environnemental, l’écoconception a sûrement un poids sur les finances d’une entreprise?

Souvent, ce que je dis aux industriels, c’est que si j’ai réussi à éliminer 35% de matière plastique, que je n’achète plus du tout de sacs de plastique, que j’utilise 39% moins de carton, mathématiquement, c’est sûr que j’ai fait des économies.

C’est vrai que pour une entreprise qui démarre, comme la nôtre à l’époque, ça nécessite énormément d’investissements parce qu’un des secrets du développement durable dans une entreprise, c’est d’avoir des équipements à la fine pointe de la technologie. Chaque kilowattheure qu’on est capable d’économiser lorsque la technologie s’améliore, il faut qu’on puisse en bénéficier. Il faut robotiser nos usines pour pouvoir sauver justement toutes ces étapes qui nécessitent généralement plus de manipulations et plus de ressources — pas seulement humaines, mais matérielles aussi. Ça demande énormément d’investissements.

Toutefois, j’aimerais rappeler aux entreprises que si elles trouvent que le développement durable coûte cher, ça veut dire qu’elles ne le font pas correctement. S’optimiser et bien mesurer, c’est payant. Oui, il faut le faire avec l’objectif d’améliorer notre empreinte [environnementale], mais à la base, c’est de l’optimisation. Il ne faut pas hésiter à faire le saut complètement, parce que si on le fait à moitié, en effet, ce n’est pas payant. Ni pour nous ni pour l’environnement, parce qu’on ne contrôle pas bien ce qu’on fait.

Votre usine de Chambly roule 24h sur 24. Comment y arrivez-vous avec seulement 34 employés?

Grâce à la robotique, encore une fois. La réalité, c’est qu’on n’a pas besoin de tant de monde que ça pour produire 60 millions de fioles de médicaments et six millions de piluliers annuellement. Certains de nos concurrents vont avoir des représentants sur la route, ce genre de choses.

Pour nous, ça n’a pas de sens de faire ça, donc notre modèle [d’affaires] est différent. Il mise beaucoup sur la visibilité sur le Web, sur notre présence dans des salons pour cibler beaucoup plus la clientèle avec laquelle on veut travailler. On se retrouve donc avec de très beaux succès, sans avoir besoin d’une quantité impressionnante de gens. Les travailleuses et les travailleurs qu’on a, on s’assure qu’ils sont bien engagés dans la mission. Avec une équipe à taille humaine, c’est beaucoup plus facile, évidemment.

Un de vos combats, c’est celui de l’écoblanchiment (greenwashing). Pouvez-vous en parler davantage?

L’écoblanchiment, des fois, c’est fait de façon volontaire. On ne dit pas toute la vérité ou on prétend des choses qui sont mal mesurées et on conçoit notre marketing autour. Ça, c’est extrêmement dangereux. Il y a aussi de l’écoblanchiment lorsque des gens pensent avoir une bonne initiative, mais qu’ils sont très mal éduqués ou informés sur les consé- quences de leur initiative.

C’est donc une mauvaise idée, même si elle a l’air bonne. Il y a un paquet de fausses bonnes initiatives de ce genre que les entreprises vont mettre en place. C’est une catastrophe.

Donc, notre combat, c’est l’éducation.

C’est d’être capable de vraiment expliquer notre processus complet. Il y a 13 ans, quand on a commencé, nos compétiteurs disaient «nous aussi, notre produit est recyclable», mais être recyclable, ce n’est pas notre seul objectif. Je n’ai pas de contrôle si tu jettes ta fiole dans la nature. Au moins, si elle se retrouve dans la nature, au départ, elle va avoir consommé moins d’eau, moins de plastique, moins d’énergie.

Ce défi de l’écoblanchiment, pour nous, il passe par la mesure, par la rigueur. Dès qu’on est capable de s’appuyer sur une rigueur, un processus rigide et des mesures concrètes de notre poids [environnemental], c’est là qu’on est protégé contre l’écoblanchiment.

Selon vous, «un entrepreneur qui ne réalise pas qu’il a un puissant outil de changement entre les mains, c’est du gaspillage». Pourquoi?

Avoir une entreprise, c’est avoir un puissant outil de changement social. Pas juste environnemental, mais aussi social. C’est d’avoir le pouvoir de prendre un problème dans la société — nous, on a décidé que c’était les emballages à usage unique dans les pharmacies, dont l’industrie est le deuxième plus important générateur de matières résiduelles au pays à cause des médicaments, des cosmétiques, des shampoings, des crèmes, etc. — et de se demander comment notre expertise peut avoir des répercussions positives sur ce problème et transformer la société.

À EcoloPharm, on met beaucoup l’accent sur l’éducation, on sensibilise le personnel, on a une culture d’entreprise forte et qui déteint sur les collectivités, pour permettre un changement de paradigme.

Donc, oui, c’est un outil de changement parce que quand on le fait bien, on amène d’autres entreprises avec nous [dans cette transformation]. On force nos partenaires à évoluer eux aussi. On amène une autre façon de réfléchir, de se responsabiliser en tant que citoyen. Ça a des conséquences majeures sur la société, j’en suis convaincue. Je pense que les entrepreneurs qui ne le voient pas gaspillent des ressources importantes qui pourraient amener un changement dans le monde des affaires de façon significative.