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Des entreprises sous pression financière

Marie-Pier Frappier|Publié le 07 février 2023

Des entreprises sous pression financière

Simon Gaudreault, économiste en chef et vice-président à la recherche à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (Photo: courtoisie)

FINANCEMENT. L’heure des choix déchirants a sonné pour plusieurs entrepreneurs qui ont besoin de liquidités afin d’affronter le contexte économique actuel, mais qui se font dire « non » par leur banque. Pour obtenir les fonds nécessaires à la survie ou à la croissance de leur entreprise, certains n’ont d’autre choix que de sortir des sentiers battus… en espérant éventuellement y revenir. 

Ces jours-ci, la pression financière prend la forme d’un étau : elle provient de chaque côté. D’une part, la hausse des salaires et l’inflation élevée augmentent les coûts de production ; de l’autre, les taux d’intérêt élevés et les craintes de récession imminente incitent les institutions financières traditionnelles à jouer de prudence et à resserrer leurs conditions de financement. Bref, pour plusieurs, l’argent manque et le financement est plus difficile à obtenir.

« Ce n’est pas facile de se faire payer ces jours-ci, donc les entreprises ont besoin de solutions à court terme pour continuer à avancer, constate Patrick Castonguay, président-directeur général d’Expansion Capital, une firme montréalaise qui accompagne une centaine d’entreprises québécoises à la recherche de financement. Le problème, c’est que des entreprises dont le dossier aurait été accepté par les banques il n’y a pas si longtemps essuient un refus. »

Pessimisme ambiant 

Les inquiétudes financières de plusieurs propriétaires d’entreprises se manifestent clairement dans le Baromètre des affaires publié en novembre dernier par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). À l’échelle du Canada, l’indice de confiance à court terme (dans les trois à quatre prochains mois) est descendu à 43,8, ce qui signifie que les propriétaires de PME sont plus nombreux à être pessimistes qu’optimistes. L’indice québécois est légèrement supérieur (47,9).

En ce qui concerne les perspectives à long terme (12 mois), la FCEI souligne que l’indice canadien (50) a atteint son plus faible niveau depuis 2009, si on exclut les récessions de 2008-2009 et de 2020. Là encore, l’indice québécois est un peu plus élevé (50,8). Fait à noter, les entreprises les plus pessimistes proviennent des secteurs de l’agriculture, du commerce de détail et des services financiers. 

Parmi les freins à l’augmentation des ventes et de la production, le manque de fonds de roulement est pointé du doigt par 20 % des PME canadiennes qui ont été sondées. Quand on leur demande ce qui fait grimper leurs coûts, elles évoquent avant tout le prix du carburant (71 %) et les salaires (63 %), mais aussi les frais bancaires (36 %) et les coûts d’emprunts (35 %). Cette dernière préoccupation, directement liée à la flambée des taux d’intérêt observée au cours de l’année 2022, est « montée en flèche », affirme Simon Gaudreault, économiste en chef et vice-président à la recherche à la FCEI. 

S’ajoute à cela le fait que 51 % des PME québécoises disent enregistrer des revenus sous la normale et que près de trois propriétaires sur cinq ont toujours une dette pandémique à rembourser, dont la moyenne atteint près de 111 000 $, selon un autre coup de sonde de la FCEI mené en novembre.

« C’est très révélateur d’une certaine fragilité financière des PME qui ont traversé de deux à trois ans d’enfer. Et ça continue, estime Simon Gaudreault. Quand la moitié des entreprises ne font pas des ventes normales, la capacité de générer des revenus pour rembourser les prêts n’est pas suffisante. »

Résultat : le nombre de faillites repart à la hausse, après une accalmie pandémique. Au Québec, 429 entreprises ont déposé un dossier d’insolvabilité au troisième trimestre de 2022, ce qui correspond à une hausse de 45 % par rapport à la même période en 2021. « Des faillites, il y en a déjà. Malheureusement, il est possible qu’il y en ait encore davantage en raison du contexte économique actuel », soutient Patrick Castonguay.

Coffres à sec 

Le manque de revenus, la hausse des coûts, les paiements en retard ou la combinaison de tous ces facteurs ont des répercussions directes sur le fonds de roulement d’une entreprise, qui peut rapidement se retrouver à sec.

La directrice des comptes majeurs à la Banque de développement du Canada (BDC), Audrey Beauchemin, rencontre par ailleurs des entreprises manufacturières qui font encore les frais des perturbations des chaînes d’approvisionnement. « Les entreprises veulent stocker plus d’inventaires pour être en mesure de répondre à la demande », dit-elle, ce qui exige de l’argent en banque. 

Lorsque les coffres sont vides et que les demandes de financement auprès des banques traditionnelles sont refusées, des entreprises sont contraintes de mettre leurs projets sur pause. Qu’il s’agisse d’agrandir une usine, d’acheter de l’équipement ou d’embaucher de nouveaux employés

C’est ce qui a bien failli arriver à Sébastien Meunier, président de l’entreprise Protection incendie vision 360. Quand il a voulu ajouter un inspecteur en sécurité incendie à son équipe au début de l’année 2022, il a tenté d’obtenir une marge de crédit, mais a essuyé un refus. « En tant que jeune entreprise, les banques ne nous écoutaient pas. Elles ne voulaient pas nous accorder le financement parce qu’elles considéraient que nous n’avions pas assez d’années d’expérience. » 

Il a donc décidé de se tourner vers Expansion Capital pour trouver une solution : il a obtenu un prêt privé de 48 semaines à un taux d’intérêt élevé et a obtenu la marge de crédit qu’il désirait lorsqu’il est retourné voir sa banque.

Plus de demandes

« De manière générale, les demandes de financement sont en légère croissance depuis quelques mois, affirme Stéphane Marceau, président et chef de la direction de Driven, une société qui offre des prêts commerciaux en ligne. Signe que les temps sont plus durs, il observe depuis le mois d’octobre que les entreprises cherchent surtout du financement pour leurs opérations, alors qu’en temps normal, l’argent prêté est surtout utilisé pour des projets de croissance.

Avoir recours à des prêts alternatifs, c’est bien souvent accepter de payer davantage d’intérêts à court terme, en espérant que le jeu en vaille la chandelle à long terme. Dans certains cas, ça fonctionne. « On pense parfois qu’il faut craindre ce genre de financement, dit Sébastien Meunier, le patron de Protection incendie vision 360. Mais finalement, c’est ce qui m’a permis d’aller plus loin. »