Présenter un plan détaillé, c’est bien. Présenter un plan détaillé, chiffres à l’appui, c’est encore mieux. (Photo: 123RF)
IMMOBILIER RÉSIDENTIEL. Tous les acteurs du milieu immobilier parlent de multiplier d’urgence le stock de propriétés à vendre pour rééquilibrer le marché. Pourtant, avec l’inflation et les hausses de taux d’intérêt, il devient extrêmement difficile de financer les projets immobiliers d’envergure et ainsi d’augmenter la cadence du nombre de chantiers d’habitations au Québec.
L’entrepreneur Ray Junior Courtemanche, président d’Investissement Ray Junior, donne l’exemple d’un projet de 350 portes qu’il aimerait bien démarrer. Le problème : la banque n’était prête qu’à lui fournir 100 millions de dollars (M$) des 180 M$ que coûte la construction.
« Il faut avoir les reins solides pour avoir 80 M$ de liquidités dans ses poches, laisse-t-il tomber. Je ne sais pas quel entrepreneur au Québec a ça dans ses poches. »
Rendement
Le financement est alloué selon le rendement prévu des édifices construits, explique Ray Junior Courtemanche. Les coûts ont explosé depuis deux ans, que ce soit du côté des matériaux, de la main-d’œuvre et, maintenant, des taux d’intérêt, ce qui fait que la rentabilité n’est pas au rendez-vous.
« J’ai terminé, au début de l’année, le 7 Sens, un projet de 243 portes à Mirabel, raconte-t-il. J’ai signé l’hypothèque à 2,99 % sur dix ans avant que les taux se mettent à monter. J’ai 52 ans. De mon vivant, je ne verrai jamais le profit. Ce sont mes enfants qui vont bénéficier du rendement du bâtiment. »
Le projet a démarré au début de 2020, mais avait été retardé avec l’arrivée de la COVID-19. L’entrepreneur estime que sans ce retard, il aurait pu obtenir un taux de 1,5 %. Il calcule que pour son prêt de 72 M$, chaque hausse de 0,5 % lui coûte 100 000 $ de plus par mois.
« Avec les conditions actuelles de marché, je ne sais pas comment c’est possible d’accélérer la cadence des mises en chantier et de rattraper le retard de 100 000 logements », tranche Ray Junior Courtemanche.
Le président de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), Maxime Rodrigue, affirme que l’entrepreneur n’est pas le seul dans cette situation.
« Personne n’a ce genre de liquidités au Québec. J’ai récemment parlé à trois ou quatre grands entrepreneurs immobiliers, et ils remettent tous leurs projets en question à cause du financement. »
Coûts impossibles à réduire
Les répercussions se font déjà sentir. Le directeur du Service économique de l’APCHQ, Paul Cardinal, souligne que les mises en chantier avaient baissé de 10 % de janvier à septembre par rapport à la même période en 2021.
« Pour ce qui est du locatif, la rentabilité des projets n’est plus là à cause de la hausse des taux d’intérêt, explique-t-il. Certains projets sont donc mis de côté parce qu’ils ne peuvent comprimer les coûts de construction, qui ont augmenté de 35 % depuis le début de la pandémie. Et ce qui n’est pas financé, il faut l’ajouter à la mise de fonds pour démarrer un projet. »
Ce que les entrepreneurs pourraient faire pour rentabiliser les projets est de faire grimper les loyers, poursuit-il, mais dans bien des cas, ils pensent que le marché ne peut soutenir cette croissance.
« Le problème, c’est que rien n’est fait pour venir en aide aux entrepreneurs », juge Ray Junior Courtemanche.
Aide
Maxime Rodrigue, abonde dans le même sens. Si on veut réellement tenter de combler le déficit de 100 000 logements avancé par l’APCHQ pour rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande en immobilier résidentiel, il faudra donner un coup de pouce à ceux qui construisent.
« À court terme, quand les hausses de taux sont si grandes, il n’y a pas 56 solutions, estime-t-il. Régler le problème de main-d’œuvre ne se fait pas du jour au lendemain, nous n’avons aucun contrôle sur le coût des matériaux, et la stratégie d’augmenter les loyers est rendue à saturation. »
Maxime Rodrigue voit trois solutions viables à court terme pour relancer les mises en chantier. La plus simple, et la plus importante à ses yeux, est d’allonger la période d’amortissement des prêts pour la construction de logements locatifs.
« Au moment où il faudrait construire plus, on se retrouve freiné par l’inflation, souligne-t-il. Un geste assez facile serait de permettre d’allonger la période d’amortissement des prêts. Ça donnerait un peu de souffle à l’industrie et ça permettrait aussi d’offrir des prix plus abordables. »
Maxime Rodrigue avance également qu’un moyen de favoriser la construction résidentielle serait d’accroître le financement en matière de logements abordables, sociaux et durables ainsi que de s’attaquer de plein front à l’allègement réglementaire.